Les vies d'Emily Pearl par Cécile LADJALI (2008)
4ème de couverture : Dans un manoir anglais, à la fin du XIXe siècle, Emily Pearl a trouvé une place comme préceptrice du fils d'un lord. Le petit maître est attachant, son père est un veuf d'une séduction puissante. Emily entame avec ardeur cette existence prometteuse. Mais la réalité resterait fade sans les mots dont elle la colore, et sans les lettres de sa mystérieuse sœur Virginia, partie vivre en Amérique. A son journal, Emily confie son espérance de la rejoindre, ses bonheurs et frustrations, ses amours avec le maître des lieux, ses grands rêves et, bientôt, mille petits mensonges dont les conséquences parfois tragiques lui donnent le vertige... Dans ce livre bruissant de confidences et de passion, Cécile Ladjali déploie un art consommé du trompe-l'œil. Elle compose un faux roman de genre - victorien, domestique, intime - pour mieux explorer la condition d'une jeune femme anglaise à l'aube du nouveau siècle. Elle détourne, au passage, les règles et le code narratif du journal, et montre combien nos vies sont improvisées... comme nos fictions.
Les vies d’Emily Pearl, quel titre étrange et qui m’a immédiatement attirée ! Cependant, il est extrêmement bien choisi. Emily Pearl consigne dans son cahier récits de ses journées, impressions sur le monde qui l’entoure, extraits de lettres échangées avec sa sœur, parfois même des mensonges pour inciter Lord Auskin, son maitre et amant, à commettre certains actes.
Car si Emily pense n’avoir aucun pouvoir sur sa propre vie, elle entend bien en avoir un peu sur celle des autres.
« Quelle frustration quel désir inavouable pouvait bien commander cet orgueil chez moi ? Nommer les choses et qu’elles adviennent… Souffler à l’orifice des mots pour qu’ils éclatent comme des bulles de savon… »
Quelle personnalité complexe que celle d’Emily Pearl ! Sans aucun point de vue extérieur, le lecteur est condamné à errer dans les méandres de ses pensées. Je me suis demandé à plusieurs reprises si elle était vraiment saine d’esprit. Même maintenant, en refermant le livre, je me pose la question.
Emily semble obsédée par sa sœur Virginia, parfaite à ses yeux et partie vivre en Amérique. Elle ne cesse de se comparer à elle : Virginia est le Bien, Emily est le Mal.
« Qu’est-ce qu’il y a donc de pourri en moi ? Qu’est-ce qui e fait, dans le banal petit jour du matin, haïr à ce point l’humanité ? Virginia me rappelle à l’ordre. Un peu plus je la prendrais en aversion, elle aussi. Mais je la révère comme une sainte. »
« …l’idée d’être l’unique témoin oculaire de la mort de mon amant me séduit tout autant, mais pour des raisons que je ne m’explique pas. »
Tout au long du roman, l’eau, élément aussi calme que puissant, est omniprésente : l’eau dans les souvenirs d’Emily, l’océan qui la sépare de sa sœur, l’hydrocéphalie du fils de Lord Auskin, même le prénom Virginia ne semble pas choisi au hasard (je pense automatiquement à Virginia Woolf…). Il se dégage de cette présence une atmosphère un peu floue, flottante, entre rêverie et réalité.
« Ces moments que la mémoire a retenus, parce que chaque fois ils avaient un lien évident avec l’eau, défilent douloureusement entre mes deux tempes. Il y a l’eau de l’océan aussi. Entre moi et Virginia. Il pleut. »
« Virginia est l’océan et tout son sel qui creuse les plaies de son absence. Je vais devoir choisir entre le feu et l’eau. »
J’ai beaucoup aimé l’écriture de Cécile LADJALI, à la fois classique, qui colle parfaitement à l’époque à laquelle se déroule le roman, et moderne, notamment dans l’impudeur d’Emily par moments.
J’ai vraiment adoré ce roman et si je me suis attachée à certains aspects qui m’ont beaucoup plu, je pense qu’il y a encore énormément d’autres axes d’interprétation…